
31650 Saint-Orens-de-Gameville
France

De quoi le périurbain est-il le nom ? Renvoyant aux abords immédiats des métropoles, des villes petites et moyennes, il peine à recevoir une définition claire, en dépit de son extension continue. Qualifié de « tiers-espace » par le géographe Martin Vanier, le périurbain est une catégorie ambigüe. Si, comme le montrent les travaux d’Annabelle Morel-Brochet, ses habitants se définissent le plus souvent à partir de références rurales, ils entretiennent, en même temps, des liens forts avec les villes les plus proches où, bien souvent, ils travaillent, étudient, se soignent, consomment et se divertissent.
Présenté tour à tour comme une urbanité « affadie » ou une « campagne de pacotille », parfois associée à la « France du repli », le périurbain n’a pas toujours bonne presse. Les chercheurs invitent pourtant, depuis longtemps déjà, à nuancer, voire à déconstruire, ces représentations en insistant sur la diversité de ces espaces qui, par endroits, fourmillent d’initiatives citoyennes et associatives originales et accueillent, à d’autres, des entreprises dynamiques et innovantes.
Coincé entre les polarités urbaines d’un côté et les espaces ruraux de l’autre, le périurbain a longtemps été invisibilisé, passant du même coup sous les radars des politiques publiques. À l’heure des transitions écologiques, démographiques et sociales, et alors qu’il rassemble près de 24 % de la population, son image et le rôle qui lui est dévolu évoluent toutefois. Creuset de réciprocités nouvelles, il apparaît comme un trait d’union précieux entre villes et campagnes où peut être imaginée et portée une partie des solutions aux grands enjeux du monde qui vient. « Le périurbain, résume Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, présente lors de l’arrêt, c’est une rotule entre la ville et la campagne, entre nos métropoles et les espaces ruraux. Il incarne une idée qui m’est chère : l’alliance des territoires, entre urbanité et ruralité ».
C’est la raison pour laquelle la Caravane des ruralités a fait halte, pour son quatrième arrêt, les 15 et 16 mars 2024 à Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne), aux portes de la métropole toulousaine.









Ce sont les espaces qui se sont urbanisés autour des villes à partir de la fin des années 1970 et le développement d’une politique du logement favorable à la maison individuelle et l’accession à la propriété. Espace mosaïque, il est habité d’abord par des familles, de couches moyennes — dans leur diversité — mais aussi d’ouvriers et d’employés, venues y trouver la « tranquillité sociale » et de meilleures conditions d’habitat. C’est un espace hybride, à la fois urbain et rural, l’intensité de l’urbanisation y diminuant quand on s’éloigne des pôles urbains. Les différentes strates sociales y sont réparties, non pas de manière homogène ou indifférenciée, mais selon divers critères, au premier rang desquels le prix du foncier, qui baisse quand on s’éloigne des centres urbains, mais aussi selon les qualités paysagères ou l’accessibilité. Ce n’est donc pas une « nappe » uniforme, mais un espace organisé par couronnes, par bassins d’emploi, selon une logique d’axe ou encore de « clubs », pour reprendre l’expression d’Éric Charmes, infra communaux ou communaux. On peut le regarder depuis la ville et considérer que lui font défaut nombre de caractéristiques urbaines. On peut aussi le regarder depuis la campagne et considérer que ce sont d’anciens villages qui se sont développés à mesure de leur inscription dans l’orbite des pôles urbains. Aujourd’hui, ils ne sont plus seulement des espaces sous dépendance de la ville-centre. Ils se sont équipés, l’emploi s’y est développé, l’habitat s’y est diversifié, ils se sont organisés dans des intercommunalités qui portent des projets.
C’est bien là tout l’enjeu. La pression qui pèse sur eux dépend de la dynamique démographique de leur ville-centre, mais aussi de l’évolution des politiques du logement et en particulier des conditions d’accès au crédit immobilier. Dans tous les cas, il faudra y trouver la voie d’un modèle d’urbanisation et d’habitat alternatif à la « maison individuelle sur sa parcelle ». Quelle « intensification » du tissu périurbain envisager ? Celle-ci devra être socialement acceptable par ceux qui y vivent déjà, tout en préservant les terres agricoles et les espaces naturels et, en même temps, répondre aux attentes sociales que les habitants avaient jusque-là dans le pavillonnaire.
Les espaces périurbains, qui ont été continument disqualifiés pendant quasiment un demi-siècle, connaissent un « retour de flamme » : appréciés pour leurs aménités, le devenir des villes, et en particulier des plus grandes, s’y joue pour une large part. Un rééquilibrage dans la localisation des emplois, moins polarisée, à leur profit, est possible, limitant les navettes quotidiennes pendulaires qui aujourd’hui se font, pour une très large part, en voiture individuelle. Cette évolution des flux devra s’accompagner d’une décarbonation des mobilités. Cela suppose d’abord d’y développer les centralités secondaires pour que les habitants trouvent sur place ce dont ils ont besoin. Cela suppose également de développer une offre de services de mobilité permettant une alternative crédible à l’autosolisme, dans des espaces où les réseaux de transports en commun traditionnels ne sont souvent pas adaptés faute de densité suffisante. À ce titre, les projets actuels de services express régionaux métropolitains (SERM), maillant le territoire par le réseau ferroviaire, peuvent y contribuer.
Parce qu’ils sont des espaces hybrides, « rurbains », l’imbrication urbain-rural qui les caractérise y rend la perception de ces interdépendances particulièrement sensible. C’est d’autant plus vrai que ceux qui y habitent sont pour l’essentiel des citadins qui mobilisent dans leur quotidien les ressources de la ville et du « village » dans lequel ils sont venus s’installer. Par ailleurs, l’addition des effets de la crise sanitaire, du réchauffement climatique et de l’exigence de sobriété a souligné l’attrait pour un autre cadre de vie que la ville. En même temps, elle a mis en lumière la dépendance des villes pour assurer leur survie et leur développement, du fait de ressources localisées chez leurs voisins. Cette perception plus aiguisée peut favoriser le passage d’un modèle de domination centre-périphérie à celui d’une complémentarité et d’une solidarité entre villes, espaces rurbains, espaces ruraux, à l’échelle du grand territoire. Cela appelle au développement de coopérations pour penser un aménagement qui répond aux exigences de la transition écologique, de l’adaptation au réchauffement climatique et de la sobriété. Elles pourront voir le jour à condition d’être fondées sur des relations interterritoriales, sinon horizontales, du moins pas trop asymétriques, qui ne mettent pas les territoires périurbains et ruraux au seul service des villes, mais qui répondent aussi à leurs projets propres.
En dépit du développement de sa fonction résidentielle au cours du XXe siècle, l’activité agricole continue de façonner les paysages de Saint-Orens-de-Gameville. Si elle ne compte que pour 0,6 % des emplois, elle occupe 58,5 % du territoire communal. Ainsi, lors des temps de débats citoyens, les habitants du périurbain ont fait part de leur attachement à la proximité des lieux de production de leur alimentation. Les marchés de plein vent, en particulier, sont désignés comme des espaces privilégiés d’approvisionnement en aliments de qualité et de proximité.
Toutefois, l’attention portée au maintien de l’agriculture dans ces espaces n’est pas si ancienne. L’artificialisation constitue une menace toujours vive pour les agriculteurs comme en témoigne l’un d’eux lors d’un débat : « Jusqu’au milieu des années 2010, on perdait beaucoup de terres agricoles et, depuis, cette perte a été réduite de moitié en concertation avec les élus. Mais, une fois les dents creuses bouchées, comment cela sera-t-il encore possible ? Quelles seront les solutions pour répondre aux besoins d’habitat tout en faisant l’effort nécessaire pour maintenir les agriculteurs et le foncier dont ils ont besoin ? »
Par ailleurs, une approche renouvelée de l’agriculture vise à mieux reconnaître et valoriser les services écosystémiques et environnementaux rendus par les agriculteurs. C’est le sens, notamment, du travail mené par l’Agence nationale pour la cohésion des territoires. Ainsi, comme le rappelle Magali Martin, directrice des programmes France Ruralité, Village d’avenir et Avenir Montagne : « Les formes de coopération entre les territoires peuvent être multiples, du réseau de travail à la contractualisation. Il faut chaque fois se poser la question du meilleur moyen de révéler les interdépendances, de faire du gagnant-gagnant. » Par exemple, dans le bassin versant de la Garonne, les prairies d’élevage stockent trois fois plus d’eau que ne le font les barrages. Par conséquent, l’Agence de l’Eau Adour-Garonne finance des agriculteurs qui mettent en œuvre des procédés agroécologiques garantissant le stockage des eaux dans leurs terrains, de façon à assurer l’alimentation en eau de la métropole toulousaine. Son directeur, Guillaume Choisy, indique que : « Si la moitié des financements de notre Agence de l’Eau provient des territoires urbains, 82 % des investissements sont faits dans la ruralité ». À ce titre, la Banque des Territoires, rappelle Annabelle Viollet, sa directrice régionale, mobilise des financements dans la préservation de la ressource en eau. Dans le domaine de l’eau comme dans d’autres, les plus-values de l’agriculture dans les espaces périurbains sont donc nombreuses, bien que son maintien demeure menacé par la pression foncière liée à la proximité des métropoles.






Le développement des communes périurbaines est intrinsèquement lié à la voiture. Alors qu’en 1962, seuls 35 % des ménages possédaient une voiture, ils étaient 81 % en 2020, selon l’Insee. L’augmentation du taux d’équipement automobile a rendu le périurbain accessible à un nombre croissant de personnes, qui se sont implantées en périphérie des villes où elles continuaient de travailler. Pour Marie-Christine Jaillet, géographe, « Saint-Orens-de-Gameville est emblématique de la périurbanisation où l’on est passé, à partir des années 1980, d’un village-rue à une commune dortoir. Puis, progressivement, la commune a structuré ses services et ses infrastructures jusqu’à devenir une centralité secondaire de la métropole toulousaine ». Les espaces périurbains font cependant face à plusieurs défis qui interrogent leurs rapports à l’automobile.
Le premier défi est celui de la décarbonation des mobilités, rendue nécessaire par la lutte contre le réchauffement climatique. Moins se déplacer en réduisant les besoins (par exemple, au travers du télétravail) ou se déplacer moins loin, en créant des centralités-relais dans le périurbain, constituent des solutions déjà identifiées. En même temps, l’autonomisation croissante des espaces périurbains, où les services, les équipements et les emplois se localisent davantage qu’auparavant, soulève de nouvelles questions en matière de déplacements. Les lieux d’origine et de destination des mobilités s’éclatent, les trajets s’atomisent et les transports en commun peinent à répondre à cette situation. Les dessertes classiques entre le centre de la ville et ses périphéries ne suffisent plus à couvrir les besoins des habitants ; ils ont des besoins croissants de se déplacer à l’intérieur de la couronne périurbaine, sans avoir à passer par le centre. La multiplicité des flux rend le développement des transports en commun difficilement viable. Pour y faire face, les collectivités proposent des solutions de transports à la demande et privilégient le développement d’infrastructures cyclables entre communes, comme pour relier Auzielle au lycée de Saint-Orens-de-Gameville, par exemple.
Le deuxième défi est celui du droit à la mobilité pour ceux qui ne peuvent pas ou plus conduire. Lors d’un débat citoyen, un père de famille témoigne ainsi : « Les parents deviennent des chauffeurs de taxi, car s’impliquer en tant que jeune c’est avoir une vie sociale, c’est pratiquer du sport, mais sans transports en commun tout devient compliqué ». Il en va de même pour les personnes âgées dont le maintien du lien social et de l’accès aux équipements et commerces est parfois conditionné à un déménagement qui les rapprocherait des commodités proposées dans les petites centralités des communes périurbaines.
Carte blanche réalisée dans le cadre de la Caravane des ruralités, projet porté par le GIP EPAU, les 15 et 16 mars 2024. Originaire de Charente, Cédric Calandraud est auteur-photographe, diplômé d'un double master en sociologie et en cinéma documentaire. Son travail prend la forme d'un retour à ses origines populaires et rurales, à travers notamment une enquête photographique immersive au long cours sur la jeunesse en milieu rural.
Historiquement, les communes périurbaines ont connu un fort développement. Aux populations rurales d’origine se sont additionnés de nouveaux arrivants d’une relative homogénéité démographique — à défaut d’une homogénéité socioéconomique. En effet, la périurbanisation a été largement alimentée, à partir des années 1970, par l’acquisition d’une résidence principale, bien souvent sous la forme d’une maison neuve. Dans les parcours de vie des ménages, cette étape résidentielle a généralement été réalisée par des couples d’âge moyen, souvent avec enfants. Aussi, à chaque époque, à chaque lotissement correspondait une certaine génération au moment de leur achèvement.
Depuis plusieurs décennies, le périurbain s’est diversifié. Les couples se sont parfois séparés, les enfants ont grandi et ont parfois choisi (ou non) de rester dans la commune au moment de la décohabitation du foyer parental ; les parents ont vieilli et sont demeurés (ou non) dans leur maison d’origine. De nouveaux occupants ont pu (ou non) renouveler le peuplement, apportant une diversité exogène. Certains lotissements et communes ont atteint un stade de « maturité » marqué par la diversification des profils d’habitants.
Mélanie Gambino, sociologue, évoque la « double appartenance des jeunes du périurbain, qui se sentent appartenir à la fois au village et à la ville ». Elle observe que les jeunes se projettent dans les territoires rurbains pour s’y ancrer. Toutefois, selon elle, ces derniers ne pourront véritablement s’impliquer dans un territoire que lorsqu’ils auront des perspectives de liberté et de protection. Marie-Christine Jaillet soulève également cet enjeu : « Les enfants de périurbains deviennent des périurbains. Mais la question des modalités d’accès au logement pour les jeunes est fondamentale ». La phase locative qui précède l’accession est complexe du fait d’une faible diversité dans l’offre de logements périurbains. La diversification sociale de l’habitat est donc essentielle pour les jeunes, mais l’acceptabilité du logement locatif social reste délicate en raison de représentations collectives éloignées de la réalité.






Longtemps, les espaces périurbains ont été décrits dans les champs médiatiques et politiques comme des lieux d’anomie sociale, marqués par l’individualisme et le repli sur la sphère domestique3. À l’inverse, la recherche a montré que, gagnant en maturité, les espaces périurbains seraient devenus plus attachants : « par leurs aménités, ils contribuent à impliquer davantage les habitants dans leurs lieux de résidence ou à proximité immédiate […] L’attachement au territoire aurait alors comme corollaire de nouvelles formes d’implication des habitants dans des associations et activités locales »4. Même un artefact aussi symbolique que la clôture gagnerait, en réalité, davantage à être considéré comme le support d’interactions que comme le marqueur d’une volonté d’isolement5.
L’étape de la Caravane des ruralités a multiplié les exemples de l’investissement des citoyens dans des initiatives associatives qui font vivre les communes périurbaines. Ainsi, à Auzielle, le cinéma d’art et d’essai associatif Studio 7 enregistre 38 000 entrées chaque année, dans une commune de 1 600 âmes. « On est très fiers, témoigne Michèle Segafredo, la maire d’Auzielle, de compter autant d’adhérents dans nos associations que d’habitants dans notre village. Pour aller plus loin dans la diversité de l’offre d’activités sportives et culturelles que l’on pourra proposer, la solution passera par une mutualisation avec les associations des autres communes du bassin de vie. »
À Escalquens, des collectifs citoyens se sont montés pour entreprendre un travail sur les richesses de la commune. Alors que la périurbanisation a profondément transformé sa physionomie au cours des dernières décennies, un groupe d’habitants s’est réuni pour retracer la mémoire d’Escalquens pour que les nouveaux arrivants puissent, eux aussi, se l’approprier. En matière de biodiversité, un autre collectif de citoyens a été à l’initiative d’une stratégie communale pour l’identification et la sensibilisation du patrimoine naturel. Pour le maire, Jean-Luc Tronco, « les habitants sont porteurs de cette démarche de préservation et d’enrichissement de notre commune ». À Auzielle et à Escalquens, le dynamisme des initiatives associatives est un moteur de renforcement de l’autonomie du périurbain et de ses identités locales.
- 3
Billard, G., Brennetot, A., 2009, op. cit.
- 4
Cary, P., Fol, S., 2016. Éditorial. Du périurbain stigmatisé au périurbain valorisé ? Géographie, économie, société 18, 5–13.
- 5
Nowakowski, F., 2022. Faire le tour de la clôture : délimitations, interactions et ajustements dans l’espace pavillonnaire (Thèse de doctorat : Aménagement et Urbanisme). École nationale des travaux publics de l’État, Vaulx-en-Velin.