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Ouvrier en usine
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79300 Bressuire
France

Thématiques
Arrêt numéro
Arrêt #5
Parties
Image Carte
Carte sensible du territoire par André Derainne, diplômé de l'École des arts décoratifs de Strasbourg.
Titre
PRESENTATION
Texte

Pour son 5e arrêt, la Caravane des ruralités fait étape dans les Deux-Sèvres, autour de la question de l’emploi industriel et de ses enjeux, ainsi que les dynamiques de territoire et de transition écologique des filières économiques.

Titre
Édito
Texte

Des industriels qui manquent de main-d’œuvre. Un taux de chômage au plus bas : à peine plus de 5 % à l’échelle du département et une situation plus favorable encore par endroit… Peut-on parler d’un miracle deux-sévrien comme certains évoquent, parfois, un miracle vendéen ? Comment expliquer le dynamisme économique de ce département de 375 000 habitants, très majoritairement rural ? Quels enjeux soulèvent aujourd’hui ce quasi-plein-emploi ?


Autour de ces questions, la Caravane des ruralités s’est rendue les 15, 16 et 17 avril 2024 dans le nord des Deux-Sèvres, à Bressuire, Mazières-en-Gâtine et Saint-Loup-Lamairé, pour la troisième étape de son cycle consacré à l’industrie en ruralité, coordonné par Magali Talandier, professeure en aménagement à l’Université Grenoble Alpes, et Manon Loisel, consultante et chercheuse en politiques publiques. 


Cet arrêt, qui s’est tenu en présence de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, fut l’occasion de documenter, au plus près du terrain, les efforts déployés pour faire face aux tensions sur le recrutement. Car, si les postes ne manquent pas, encore faut-il pouvoir les pourvoir. L’offre de logement, la mobilité, les modes de garde ou encore l’intégration des nouveaux arrivants sont autant d’enjeux clés pour assurer, localement, le maintien d’une dynamique industrielle. Pour y répondre, les acteurs locaux, dans les Deux-Sèvres, innovent, mutualisent, coopèrent. Entreprises, collectivités, réseaux associatifs et structures d’insertion conjuguent leurs efforts pour lever les freins à l’emploi, souvent avec des moyens modestes mais un sens aiguisé de l’expérimentation.


Dans le bocage bressuirais, comme en Gâtine, ces démarches s’inscrivent dans un projet plus large de territoire. Car une politique industrielle ne saurait être efficace sans s’appuyer sur d’autres politiques. L’exemple des Deux-Sèvres nous montre qu’il n’y a pas de recette miracle, mais des contextes spécifiques, des héritages, des proximités et aussi des acteurs publics et privés qui font le choix d’œuvrer collectivement pour le développement de leur territoire.  

Titre
Le nord des Deux-Sèvres, un territoire néo-industriel ?
Texte

Plus diffuse, plus tardive et souvent plus discrète, l’histoire de l’industrie dans les Deux-Sèvres ne s’inscrit pas dans les grands récits des bassins miniers ou sidérurgiques. Dans ce département, né en 1790 de la scission de l’ancienne province du Poitou, qui s’étendait à la Vienne et à la Vendée, le principal moteur économique fut longtemps l’agriculture1. En 1968, ce secteur regroupe encore 37 % des actifs, contre moins de 15 % au niveau national. La situation a depuis largement évolué. L’agriculture reste un pilier de l’économie locale2, mais la population active agricole a fortement diminué au fil des décennies3.


Comme dans de nombreux territoires de l’Ouest – du nord de la Nouvelle-Aquitaine à la Bretagne, en passant par les Pays de la Loire – l’industrie a progressivement pris le relais à partir des années 1970, poursuivant son expansion à contre-courant d’une tendance nationale marquée par la désindustrialisation. La géographe Marjolaine Gros-Balthazard4 souligne que ce territoire néo-industriel a bénéficié des politiques de décentralisation économique menées après-guerre sous l’impulsion de la DATAR, mais aussi de dynamiques endogènes avec un esprit d’initiative local, la mobilisation de capitaux régionaux, et une main-d’œuvre bon marché.


Si l’agriculture n’est plus centrale, elle n’est jamais loin. Un rapport à destination des Maisons de l’emploi Nord Deux-Sèvres rappelle que la majorité des activités présentes sur le territoire trouvent leurs racines dans le secteur agricole5. C’est le cas, bien sûr, de la filière agroalimentaire, mais aussi d’une partie de l’industrie manufacturière. Le cas d’Heuliez est à ce titre éclairant : longtemps principal employeur industriel – avec 3 000 salariés à son apogée en 2004, contre 350 aujourd’hui –, le groupe a débuté à la fin du XIXe siècle par la fabrication de carrioles avant de se diversifier, notamment dans la production de matériels agricoles.


Aujourd’hui, l’industrie est solidement implantée dans le nord du département et le bassin niortais. Avec 16 % d’emplois industriels, les Deux-Sèvres dépassent la moyenne nationale (13 %) et s’appuient sur trois grandes filières : agroalimentaire, mécanique et bois-ameublement. L’agro-industrie, qui regroupe un quart des emplois du secteur, occupe une place centrale grâce à des acteurs comme la coopérative laitière de Saint-Loup (groupe Savencia), Les Jardins de l’Orbrie à Bressuire, ainsi qu’un ensemble d’abattoirs et d’ateliers de transformation. D’autres entreprises illustrent ce dynamisme, à l’image de Heuliez Bus à Rorthais, spécialisée dans la mobilité électrique, ou du cimentier Calcia, engagé dans un ambitieux plan de décarbonation de 300 millions d’euros. Ce tissu productif peut aussi compter sur la vitalité de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec des structures comme la matériauthèque Accro’Bat, la coopérative des Ateliers du Bocage (réemploi numérique), ou ESIAM à Mauléon, entreprise à but d’emploi issue de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). Autant d’exemples qui montrent que l’innovation industrielle et sociale se déploie aussi dans les territoires ruraux, loin des seules métropoles.


Comme le suggère Caroline Granier6, la solidité du tissu industriel local repose en grande partie sur des liens interpersonnels anciens et denses. Les clubs d’entreprises – celui de Parthenay, créé en 1977, ou celui du Bocage bressuirais, le plus grand de Nouvelle-Aquitaine – favorisent la mise en réseau des acteurs économiques. À cela s’ajoutent des relations plus informelles, issues d’un ancrage territorial profond. De nombreux dirigeants se connaissent depuis l’enfance, partagent des loisirs ou des engagements communs, et activent ces relations pour faire face à des aléas, parfois même en coopérant avec des concurrents. Ce « liant » social, parfois désigné comme « l’esprit bocage », constitue un facteur de développement local. Il contribue à structurer un tissu économique dynamique, dont les effets se mesurent aussi sur le plan démographique : le département n’a cessé de gagner des habitants depuis la Libération, même si la tendance tend à s’atténuer. Ces dynamiques n’effacent pas pour autant certaines fragilités. Le revenu médian demeure inférieur à la moyenne nationale, et le ralentissement de l’activité enregistré depuis 2024 rappelle que le territoire reste vulnérable aux aléas conjoncturels. 

  • 1

    Geoffroy B., « Quelques réflexions sur l’agriculture des Deux-Sèvres », Norois, 1975 : 684-691. 

  • 2

    Avec 5,3 % de l’emploi, l’agriculture conserve un poids nettement plus important dans les Deux-Sèvres que dans le reste du pays (1,8 %). Les territoires agricoles couvrent par ailleurs 88 % du département.

  • 3

    Deléage E., « Évolution et ruptures dans l’agriculture du Bocage Bressuirais », Norois, 2000 : 89-98.

  • 4

    Gros-Balthazard M., L’avenir productif des territoires industriels : analyse de la diversité des trajectoires économiques locales, Thèse de doctorat, Université Grenoble Alpes, 2018 : 447. 

  • 5

    Bouba-Olga O., Bourdu E., Ferru M., Guimond B., Perrier B., Mathé J., Prospective Nord Deux-Sèvres. Approche statistique du territoire des Maisons de l’Emploi Nord Deux-Sèvres, CRIEF, 2010 : 100. 

  • 6

    Granier C., Refaire de l’industrie un projet de territoire, Les Notes de la Fabrique, 2022 : 127.

Chiffres clés
Chiffre
375 000
Description
habitants dans les Deux-Sèvres en 2022
Chiffre
+ 32 650
Description
habitants en 40 ans dans le département
Chiffre
5,4 %
Description
de chômage dans les Deux-Sèvres
Chiffre
19 850
Description
habitants à Bressuire en 2022
Chiffre
13,5 %
Description
de taux de pauvreté à l'échelle du Bocage Bressuirais
Chiffre
+ 700
Description
emplois dans l'industrie entre 2015 et 2021 dans le département
Personne(s)
Nom
Ferru
Prénom
Marie
Description
Marie Ferru est professeure des universités en géographie.
Nom
Chauchefoin
Prénom
Pascal
Description
Pascal Chauchefoin est maître de conférences en économie et membre du Conseil Scientifique de France Ruralités (CSFR). Tous deux enseignent à l’Université de Poitiers et mènent leurs recherches au sein du laboratoire RURALITÉS et de la Fédération de recherche Territoire.
Titre
Entretien croisé avec Marie Ferru et Pascal Chauchefoin
Questions réponses
Question
Quel bilan peut-on faire de l’industrie en ruralité ? La désindustrialisation appartient-elle au passé ?
Réponse

PC : Non, elle n’appartient pas au passé. On continue de perdre des emplois industriels, même si c’est moins brutal. Mais certaines fermetures très visibles masquent aussi des créations ou des reconfigurations ailleurs. Dans un contexte de croissance faible et de transition écologique, on peine encore à identifier de nouveaux moteurs industriels. Cela dit, certains territoires ruraux - comme les Deux-Sèvres - s’appuient sur une tradition industrielle, une culture locale de l’entreprise, qui les rend plus résilients. On y voit émerger des productions plus sobres, éco-compatibles, portées par des ressources locales comme les friches, le foncier, ou l’agroalimentaire.

MF : Historiquement, l’industrie s’est implantée là où étaient les ressources, souvent dans des espaces peu denses. Et ce lien perdure : depuis 2021, 72 % des projets industriels se localisent dans des communes de moins de 20 000 habitants. Les villes petites et moyennes, et le rural plus largement, sont bien positionnés dans la dynamique actuelle. Aujourd’hui, 27 % des emplois industriels sont en milieu rural, où l’industrie pèse davantage qu’au niveau national. Ces territoires résistent souvent mieux que les métropoles.

Question
Quels atouts les territoires ruraux possèdent-ils pour développer des activités industrielles ?
Réponse

MF : Ils disposent d’avantages spécifiques : un foncier disponible à bas coût, la présence de savoir-faire, un climat parfois plus entrepreneurial... Ce sont aussi des territoires denses en relations sociales, où l’interconnaissance facilite les projets. Des bassins comme celui de Lacq ou du Bressuirais bénéficient d’une acceptabilité plus forte de l’usine et d’un ancrage historique. Autant d’atouts dans un contexte d’urgence écologique, de sobriété foncière et de faible acceptabilité sociale de l’industrie.

PC : Et ils sont parfois très bien connectés aux agglomérations. Certaines métropoles comme Tours ou Orléans construisent des partenariats avec leur arrière-pays rural. Ce type de coopération peut faire émerger des symbioses territoriales, où chacun y gagne. Le rural apporte de l’espace ; la ville, des ressources humaines ou technologiques.

Question
Comment expliquer la réussite de territoires comme le Bressuirais ?
Réponse

PC : Le Bressuirais s’appuie sur une longue histoire de coopération entre industriels, élus et acteurs de la formation. Les réseaux sont solides, ce qui permet de réagir vite. Il existe une certaine spécialisation - dans l’agroalimentaire, le meuble, la mécanique - qui renforce l’identité économique du territoire. Mais cette dynamique reste fragile : il y a des problèmes de logement, de services, de main-d’œuvre. Des facteurs à ne pas négliger.

MF : Ce territoire a su faire évoluer son tissu industriel tout en capitalisant sur ses spécificités. Malgré la fermeture d’Heuliez, la filière automobile y reste active. Le pôle Métal 2S, créé en 2018, fédère les acteurs de la métallurgie autour d’enjeux communs : mutualisation, attractivité, innovation… C’est un exemple intéressant de réponse collective à des fragilités bien identifiées.

Question
Tous les territoires ruraux peuvent-ils espérer se réindustrialiser ?
Réponse

MF : Non, être rural ne suffit pas. Certains territoires ont des atouts - du foncier, un savoir-faire… - mais encore faut-il les mobiliser. Et même alors, des freins subsistent : un manque de coordination locale, un déficit d’ingénierie, une faible acceptabilité sociale... Des conditions essentielles à réunir pour que la réindustrialisation prenne.

PC : Je suis d’accord, et j’ajouterais un point crucial : l’accès à une énergie propre et disponible. On parle beaucoup de relocalisation industrielle, mais si on n’a pas l’énergie pour faire tourner les machines, ça bloque. La transition passe aussi par là.

Question
Quel rôle jouent les élus, les réseaux d’acteurs et les proximités dans la réussite des projets industriels en milieu rural ?
Réponse

PC : Un rôle central. Dans les territoires qu’on a étudiés, les maires sont souvent les courroies de transmission entre l’entreprise, les services de l’État et les intercommunalités. Ils connaissent le terrain, les acteurs, les réseaux. Ce sont parfois de véritables entrepreneurs publics.

MF : Oui, leur implication fait souvent la différence. Dans un cas récent, la maire a même préparé le terrain avant l’arrivée de l’entreprise, en aménageant une zone d’activités et en fédérant les acteurs autour d’un pôle. Ce leadership local, ancré dans la proximité, est déterminant.

Question
Quel rôle peut jouer la recherche dans la dynamique industrielle ?
Réponse

PC : La recherche permet de prendre du recul, de mieux comprendre les dynamiques territoriales et d’éclairer les décisions publiques. Elle aide à sortir des effets de mode et à identifier ce qui fonctionne vraiment, dans la durée. 

MF : Elle joue aussi un rôle de catalyseur local. Sur certains terrains, les échanges avec les chercheurs ont renforcé la réflexivité des acteurs, les ont aidés à formuler un récit territorial plus cohérent, et parfois à se projeter collectivement dans l’avenir.

Titre
Répondre au défi du recrutement en ruralité, l’exemple Deux-Sévrien
Texte

« Les industriels du nord des Deux-Sèvres manquent de main-d’œuvre », rapportait, à l’orée des années 2000, Les Échos7, pointant alors le « sérieux problème » posé à l’économie locale par ce « quasi-plein-emploi », illustré par une alerte formulée par le président du club des entreprises du Bocage : « Nos adhérents ont 500 postes disponibles immédiatement pour lesquels ils ne trouvent pas de candidats ». 


Plusieurs facteurs expliquent alors cette pénurie. Située à l’écart des grands axes routiers et ferroviaires, la région apparaît enclavée. S’ajoutent la rareté de l’offre de logement et la faible mobilité des Français. Enfin, le territoire subit un effet ciseaux : le nombre d’actifs recul tandis que le regain industriel accroît les besoins en main-d’œuvre. Vingt-cinq plus tard, la situation reste à peu près identique en dépit des difficultés rencontrées par l’aéronautique et l’automobile au lendemain de la crise économique et financière de 2008, et la liquidation de l’équipementier Heuliez - longtemps principal employeur industriel du département avec près de 3 000 salariés à son apogée. La pénurie de main-d’œuvre n’épargne aucun secteur. 


Dans ce contexte, les industriels et les collectivités n’hésitent plus à monter en responsabilité sur l’ensemble des services aux salariés. À Bressuire, des dispositifs visent à améliorer l’attractivité du territoire : crèche interentreprises, habitat partagé, pack « découverte » pour les candidats à l’embauche. La Maison de l’emploi du Bocage organise des job datings, et expérimente, en lien avec l’Atelier du Bocage, des dispositifs d’autopartage ou de covoiturage adaptés aux horaires décalés. Certaines entreprises collaborent pour mutualiser les ressources humaines selon les saisons ou les filières. Un travail important est mené en lien avec les chantiers d’insertion et, sur Mauléon, avec Territoire zéro chômeur de longue durée (TZCLD), une expérimentation engagée en 2016 destinée à « éradiquer le chômage de longue durée » sur le territoire. Dans le Pays de Gâtine, les collectivités soutiennent des actions de sensibilisation aux métiers industriels auprès des collégiens, tandis qu’à Parthenay et dans d’autres communes, des tiny houses ont été testées pour héberger des jeunes travailleurs. Par endroit les collectivités deviennent de facto des opérateurs du logement de leurs salariés se faisant parfois promoteurs et bailleurs. Plus largement, le logement constitue un point de vigilance pour les acteurs locaux, qui réfléchissent à des partenariats interterritoriaux avec Poitiers ou Cholet pour mieux organiser les parcours résidentiels des salariés. 
 

  • 7

    « Les industriels du nord des Deux-Sèvres manquent de main d’œuvre », Les Échos, 16 mai 2000. 

Personne(s)
Nom
Bironneau
Prénom
Pascal
Description
Pascal Bironneau est maire de Saint-Loup-Lamairé, commune de 1 050 habitants située en Gâtine, au cœur des Deux-Sèvres.
Titre
Entretien de Pascal Bironneau : En ruralité, « Il n’y a pas de fatalité »
Questions réponses
Question
Quelles sont les spécificités des Deux-Sèvres, de la Gâtine et de Saint-Loup en particulier ?
Réponse

L’économie des Deux-Sèvres reposent sur l’industrie et l’agroalimentaire. On trouve des entreprises comme Delaire, Heuliez ou Safran, des assurances et des mutuelles à Niort, ainsi que de nombreuses TPE et PME locales. Un tiers du territoire correspond à la Gâtine, qui se distingue par son paysage de bocage, sa dynamique agricole et agroalimentaire, mais connaît aussi davantage de difficultés. Saint-Loup, en revanche, a su valoriser son patrimoine pour rester attractif et se développer. Et aujourd’hui, le projet de Parc Naturel Régional, engagé pour l’ensemble de la Gâtine, va faire profiter le territoire de cette dynamique positive. 

Question
La Gâtine n’a pas un profil aussi industriel que le nord des Deux-Sèvres. Pour autant, on trouve aussi quelques PME à l’image de la Fromagerie Saint-Loup. Comment l’expliquer ?
Réponse

La fromagerie est née en 1894 de la volonté de quelques paysans de se regrouper en coopérative afin de mieux valoriser la production laitière. Le site s’est rapidement développé. La coopérative a depuis été reprise par un géant du secteur qui a permis de sauver le site et de lui faire bénéficier d’investissements. Avec 180 salariés, la fromagerie joue localement un rôle important. Comme beaucoup, elle fait cependant face à de grosses difficultés de recrutement. On manque de logement, il y a des problèmes de mobilité, de permis, de covoiturage difficile à organiser, et puis on est sur un site un peu isolé. Comme souvent aussi, les décisions ne sont plus prises exclusivement en local, ce qui, parfois, rend les choses plus compliqués. 

Question
Comment les collectivités accompagnent-elles les entreprises du territoire ?
Réponse

Elles demeurent restreintes mais ce n’est pas pour autant que nous n’avons pas de possibilités. Ici, les collectivités sont mobilisées pour accompagner les industriels. À Saint-Loup, par exemple, nous avons rénové les 7 logements de l’ex-gendarmerie pour les mettre à disposition des salariés et on a installé 2 Tiny-House. On cherche aussi à rendre la ville plus agréable. C’est un projet global. Depuis 2014, plusieurs initiatives ont été réalisées : nouvel EHPAD, 50 constructions neuves en dix ans, nouvelle maison de santé et MAM. En 2016 et 2020, nous avons créé des tiers-lieux, regroupant services administratifs, associations, fab lab et espaces de coworking. Ces projets donnent un cadre attractif aux habitants et aux entreprises. 

Question
Quels enseignements tirer de cette dynamique ?
Réponse

Il n’y a pas de fatalité : un territoire reflète le volontarisme de ses acteurs. Si en plus l’Etat répond présent à nos côtés, la clef est de valoriser les atouts locaux tout en renforçant les liens avec les territoires voisins. Le développement territorial de demain n’est plus celui d’hier, notamment en prenant en considération la transition écologique. Cela nécessite d’être à la fois animateur et créatif !

Titre
LA VALLEE DU THOUET
Texte

9h30. Lundi matin. Arrivée à Mazières-en-Gâtine. La départementale 3743 qui relie Niort à Parthenay et qui traverse le village est encore très calme. Rien n’indique que la petite commune d’à peine 1000 habitants s’apprête à accueillir une ministre et sa délégation.

10h15. Lundi matin. Je m’éclipse après l’arrivée de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, venue participer à un grand débat avec les habitants et les élus locaux. Je sillonne les rues du centre-bourg sans croiser personne, si ce n’est les voitures, camions et bus qui traversent le village via la D3743 autour de laquelle la vie du village est organisée – boulangerie, mairie, auto-école, église, restaurant, supermarché, laverie.

11h30. En retournant vers le centre-bourg, je ne croise toujours personne. Cela peut s’expliquer car nous sommes lundi, généralement le jour le plus calme de la semaine. C’est également la période des vacances scolaire alors je me dis que certains sont partis en vacances. Sur les façades des maisons, je remarque beaucoup de volets fermés, quelques panneaux à vendre/à louer et par ci par là les traces des commerces passés. Au fil de ma balade, j’observe aussi les traces d’une solidarité qui s’organise – des boîtes à livre, une boîte à dons de la croix rouge ou encore la boutique solidaire du Secours catholique.

14h. J’accompagne la caravane dans les deux visites prévues cet après-midi. D’abord, dans les ateliers de l’association Accro’bat qui se trouve dans la zone industrielle de Bressuire, commune de presque 20 000 habitants. J’y découvre un entrepôt rempli de matériaux glanés sur différents chantiers de déconstruction, classés par types – bois, outils, ferrailles, … Ils sont valorisés afin de les remettre en circulation et à la vente à prix libre. Ensuite, la caravane s’arrête dans la commune des Pins pour une visite des Ateliers du Bocage, une coopérative d’utilité sociale et environnementale, membre du mouvement Emmaüs. Je rencontre plusieurs employés qui réceptionnent, démontent et réparent les appareils téléphoniques qui sont envoyés aux Ateliers.

15h30. Arrivée dans le centre de Bressuire, sous une fine bruine. J’arpente les rues du centre-ville avec l’idée d’aller à la rencontre des habitants mais les gens se pressent pour se mettre à l’abri. Personne ne s’attarde dehors. Je décide alors de rentrer dans un café, « Le chêne vert ». Quelques jeunes boivent des cocas et discutent. Je me rapproche d’eux et leur explique ma démarche. J’en profite pour leur poser quelques questions sur leur parcours. Ils sont tous les trois étudiants en licence à Poitiers, à 1h30 d’ici et sont de retour pour les vacances, chez leurs parents. « Il n’y a pas grand-chose à faire ici, à part voir les copains ». Pour leur avenir, ils s’imaginent déménager « en ville sans trop s’éloigner, peut-être Nantes ou Angers ». Je propose de les prendre en photos mais ils refusent. Je profite d’une éclaircie pour continuer mon exploration de Bressuire. De loin, j’aperçois deux jeunes qui font du vélo sur le parking en haut de la gare. Je les interpelle. Ils acceptent la photo tout de suite et me proposent même de me faire une démonstration de roue avant. Je leur demande depuis combien de temps ils se connaissent et, à mon grand étonnement, les deux venaient tout juste de se rencontrer avant que je n’arrive. Je continue ensuite à arpenter le quartier de la gare, ça me semble être le meilleur endroit pour rencontrer du monde. Deux jeunes en trottinette font des tours sur la place, on se croise plusieurs fois, puis l’un d’eux s’arrête. Il veut savoir qui je suis et ce que je cherche. Après ça, encore quelques personnes méfiantes de l’appareil photo, les bus qui partent et la ville qui commence à se vider.

Mardi, 8h30. Visite des Jardins de l’Orbrie à Bressuire, une usine qui fabrique des jus de fruits et met en bouteille des boissons pour d’autres entreprises. Je rencontre plusieurs salariés qui me font chacun visiter leur ligne – production, embouteillage, réception, pressage…

10h. Alors que la caravane fait route vers la cimenterie Calcia, je décide d’aller photographier le village d’Airvault. Après quelques minutes à arpenter les rues du centre-bourg, une averse me pousse à me mettre à l’abri dans le bar-PMU du village. Là, j’y rencontre Younes, un jeune serveur de 23 ans, avec qui je discute longuement et quelques habitués. Ces derniers jouent aux jeux à gratter et racontent, à tour de rôle, leur week-end sans vraiment se répondre. Quand je leur dis que je suis là pour photographier le territoire, ils me donnent quelques conseils sur les lieux à visiter et sont tous d’accord sur une chose : « A Airvault, il n’y a rien. Ça bouge plus à Saint-Loup, c’est là-bas qu’il faut aller. »

12h. Arrivée au Tiers lieu Le Granit à Saint-Loup. La caravane n’est pas encore là, j’ai donc le temps d’échanger avec le maire du village, Pascal Bironneau. Il m’explique qu’après son élection en 2020, il a souhaité réorganiser la vie du village. D’un côté du chemin de fer, une partie réservée aux services administratifs du quotidien et de l’autre, une partie tournée vers le tourisme avec un centre-bourg attractif. Je lui demande si la voie de chemin de fer est encore en service. « Oui, mais seulement pour le fret. Le but, à terme, serait d’avoir à nouveau du transport de personnes. ». J’en profite également pour lui demander de m’indiquer des lieux et des personnes que je pourrais rencontrer dans la commune. Il me conseille d’aller voir du côté du syndicat des rivières situé à Saint-Loup.

15h. Sur les conseils du maire, je me rends au Syndicat Mixte de la Vallée du Thouet. Je rencontre Guillaume, l’un des techniciens de rivière du Syndicat. Il est chargé d’accompagner les différents projets d’entretien et d’aménagement de la rivière, ainsi que d’animer le site Natura 2000 « Bassin du Thouet Amont ». Il met également en place, avec ses collègues, des projets de valorisation et de développement touristique du territoire. Il me parle d’un chantier de déblaiement de la rivière qui a lieu cette semaine et me propose d’aller à la rencontre des personnes qui se chargent d’enlever les branches et troncs d’arbres tombés dans le Thouet. Il les appelle et me donne rendez-vous le lendemain matin à Thouars. Pour aujourd’hui, Guillaume me propose d’appeler le responsable de la société de pêche de Saint-Loup, Gaylord. Il est disponible tout de suite. Nous nous retrouvons aussitôt à proximité d’un ponton qu’ils ont récemment mis en place au bord du Thouet.

Mercredi. 8h30. Guillaume, le technicien de rivières rencontré hier au syndicat de Saint-Loup, m’a donné rendez-vous à 8h45 sur le parking de la Chaussée des pommiers à Thouars. Il a prévu d’assister à l’intervention d’une entreprise de déblaiement des rivières avec qui le syndicat a l’habitude de travailler, c’est à cette occasion qu’il m’a proposé de venir. Il m’emmène avec son véhicule de l’autre côté de la rive et en profite pour me faire l’historique de la rivière. A la fin du 19e siècle, la ville s’est équipée de jardins ouvriers et a divisé les terres le long du Thouet en 80 jardins. Aujourd’hui, ceux-ci s’appellent des jardins familiaux, il y en a plus d’une centaine. Ils sont toujours cultivés, et servent également à la pêche ou pour se réunir avec la famille et les amis.

10h. Avant de rejoindre la caravane à Saint-Loup-Lamairé, je passe par le centre-ville de Thouars sur les conseils de Guillaume. La ville est perchée sur une colline ce qui permet d’avoir un point de vue impressionnant sur la vallée en face. En me baladant, j’aperçois un jeune homme, seul, qui s’entraîne au slalom en roller près sur skatepark. Je décide d’aller lui parler.

Teofane, 19 ans, travaille en interim dans différents types de petits boulots. Quand il a du temps libre, il s’entraîne au roller dans le centre-ville de Thouars, près du skatepark. Aujourd’hui, il perfectionne sa technique et sa vitesse, alors qu’il est plutôt spécialisé dans le saut en hauteur. Il espère notamment faire un bon résultat dans sa ville natale de Thouars au mois de juin lors d’une compétition régionale.

Teofane amène son propre matériel pour s’entraîner dans le centre-ville et répète les mêmes courses, les mêmes mouvements, pendant des heures pour perfectionner sa technique.

 

Une carte blanche de Cédric Calandraud

Réalisée du 15 au 17 avril 2024

Dans le département des Deux-Sèvres

Avec le GIP EPAU et la Caravane des Ruralités

Images
Départementale 3743, Centre-bourg de Mazières-en-Gâtine ©Cédric Calandraud
Matériaux collectés et mis en vente à prix libre par l’association Accro’bat
Dans les locaux de de l’association Accro’bat, une association qui collecte des matériaux de chantier, les valorise et les remet en circulation. Zone industrielle de Bressuire
Dans les locaux des Ateliers du Bocage, Les pins. Postes de travail aux Ateliers du Bocage, partie réparation et démontage.
Melissa est employée des Ateliers du Bocage, elle s’occupe de la partie réparation des smartphones au sein de la coopérative.
Façade de la Gare de Bressuire
Parking de la gare, Bressuire. Zazou, 17 ans et Steven, 15 ans.
Façades des commerces dans le centre-ville de Bressuire
Zazou, 17 ans
Dans les locaux des Jardins de l’Orbrie, Bressuire
Michäel est conducteur de ligne aux Jardins de l’Orbrie depuis trois ans et s’occupe de la partie embouteillage.
La ligne d’embouteillage, gérée par Michaël
Entrée du village de Saint-Loup-Lamairé (nouvelle commune composée de Saint-Loup-sur-Thouet et Lamairé)
Younes, 23 ans, est serveur au bar-PMU d’Airvault depuis deux mois. Il est originaire de Paris mais a déménagé dans les Deux-Sèvres avec sa mère quand il était plus jeune. Aujourd’hui, il aimerait repartir vers la ville. Peut-être même à l’étranger.
Carte de la vallée du Thouet affichée dans les locaux du Syndicat Mixte de la Vallée du Thouet à Saint-Loup-Lamairé
Panneau installé par le syndicat mixte de la vallée du Thouet, Thouars
Le Thouet, Thouars
Centre-ville de Thouars Teofane, 19 ans
Centre-ville de Thouars Teofane, 19 ans
Images
Usine. Illustration par André Derainne
Bâtiments. Illustration par André Derainne
Zone industrielle. Illustration par André Derainne
Des jeux pour enfants. Illustration par André Derainne
Dans l'usine. Illustration par André Derainne
Chemin. Illustration par André Derainne
Vidéos
Titre
Pour aller plus loin
Texte

•  Cultiver l’industrie. Résistance et développement de l’industrie à Vire-Normandie (Calvados), Crague G., « Carnets de territoires », Autrement, 2025.

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